WSPR, quand les radios chuchotent
Par Olivier F4JAM
J’ai testé WSPR…

WSPR, c’est le sigle de Weak Signal Propagation Report, ce qui peut se traduire en « Rapport de propagation des signaux de faible puissance ». Hum… ça laisse perplexe… dites moi en plus !
Pour la petite histoire, si on veut prononcer les quatre lettres du sigle pour le transformer en acronyme, je vous laisse chercher la nuance ; en anglais, ça donnera « WhiSPeR », ce qui signifie chuchotement ou murmure. Cela fait directement référence à la capacité de ce mode de communication de détecter les signaux faibles.
Le but de cet article n’est pas de rentrer dans les détails d’installation et de configuration pour utiliser WSPR : il y a plein de tutos et vidéos sur internet et c’est pas compliqué surtout si on sait déjà utiliser sa station radio pour les modes numériques. Cet article est avant tout pour expliquer à quoi ça sert et comment ça fonctionne.
A quoi ça sert ?
Comme souvent, vu de l’extérieur du monde radioamateur… à pas à grand-chose, et c’est même bien se compliquer la vie que de vouloir détecter des murmures électromagnétiques 🙂
Coté radio, par contre c’est utile et amusant !
Utile parce que WSPR permet d’évaluer la qualité de la propagation des ondes radio, en fonction des bandes de fréquences, tout autour du monde.
Amusant parce que ça touche différents domaines allant de la radio, l’informatique, la météo solaire, la géographie etc…
Histoire
L’astrophysique fait en général bon ménage avec les ondes électromagnétiques et donc les radioamateurs.
Le protocole WSPR a été inventé en 2008 par l’américain Joseph Taylor, astrophysicien et prix Nobel de physique en 1993. Accessoirement, il est aussi radioamateur (K1JT). Il a également développé le protocole de transmission numérique FT8, mais c’est une autre histoire ! WSJT-X , le logiciel qui permet d’utiliser WSPR, FT8 et d’autres protocoles est disponible en sources ouvertes et gratuites pour tous les principaux systèmes d’exploitation : Linux, MacOS, Windows.
Matériel nécessaire
Si vous avez déjà essayé le FT8, vous devez déjà avoir tout sous la main.
Pour utiliser WSPR il faut :
- Un poste radio émetteur/récepteur. WSPR fonctionne sur toutes les bandes amateurs, mais c’est quand même plus amusant sur les bandes décamétriques parce que ça va plus loin ! On peut également se limiter à la réception des signaux, sans émettre, avec une clé SDR par exemple.
- Un ordinateur sur lequel on aura installé WSJT-X et un logiciel de réglage de l’heure (on verra pourquoi plus loin).
- En fonction de la radio qu’on utilise, il faudra peut être aussi, si elle ne l’intègre pas déjà, un boîtier d’interface pour la piloter avec le PC (CAT control avec les logiciel Omnirig, Flrig, etc…) et surtout échanger les signaux audios (carte son).
Principe
WSPR est un protocole de transmission numérique dont le seul objectif est de mesurer jusqu’où un signal radio de faible puissance peut aller. Pas plus, pas moins mais c’est efficace !
Pour faire simple : L’objectif est de transmettre un message numérique généré par l’ordinateur via la radio, avec un minimum d’informations utiles et de voir qui est capable de le recevoir.
Pas de QSO avec WSPR, c’est à sens unique. On émet, on reçoit mais on n’échange pas, du moins pas directement.
Pour ça, il y a un message standard à transmettre. Ce message est codé numériquement par l’ordinateur, c’est à dire traduit en une série de ‘0’ et de ‘1’. Puis il est envoyé à la radio qui transmet alors sur les ondes ce message numérisé. Les ‘0’ et des ‘1’ vont être convertis en fréquences audio qui vont elles-mêmes ensuite moduler une fréquence porteuse radio .
Pour que ça fonctionne simplement sans rendez-vous, des fréquences spécifiques ont été définies pour chaque bande de fréquence radioamateur. Ces fréquences sont proches de celles du FT8 et elles sont pré-réglées dans le logiciel WSJT-X.
On a donc, partout dans le monde, des gens qui émettent des signaux WSPR, d’autres qui les écoutent, ou généralement les deux. A l’arrivée, le signal WSPR est reçu par une radio, puis il est envoyé et décodé par un ordinateur. Si les ordinateurs «émetteurs» et «récepteurs» sont connectés à internet, ils envoient en parallèle les données sur le site WSPRnet.org.

On peut alors voir à l’échelle du globe qui émet, qui reçoit et la puissance des signaux radio reçus. On peut évidemment filtrer avec son indicatif et même limiter à une bande de fréquence. C’est tout mais c’est excellent ! Vous voulez savoir quelle bande est actuellement active, le profil d’émission de votre antenne faite maison, quelle bande utiliser ? … Regardez les rapports WSPR et constater que votre émission de 1W a été reçue à l’autre bout du monde !

1W, c’est à peu près ce qu’on a avec 2 piles alcalines AA de 1,5V, pendant quelque temps. C’est +30dBm.
Pourquoi des signaux numériques ?
A la base, même quand on parle de transmission radio numérique, on a toujours des signaux audio ou dans le domaine de l’audible, jusqu’à quelques milliers de Hz qui vont moduler une fréquence porteuse radio de quelques kHz à plusieurs MHz ou même GHz.
Les signaux numériques sont constitués de nombres qui sont convertis en une série de bits, des ‘0’ et des ‘1’ pour être traités par un ordinateur. Pour l’émission ces bits sont ensuite transformés en une, ou plusieurs fréquences audio, pour être envoyés à la radio. En réception c’est l’inverse : on démodule le signal pour récupérer les fréquences audio, on les traduit en ‘0’ et ‘1’ et l’ordinateur va ensuite traiter les données reçues.
Avec deux fréquences, on peut ainsi coder un ‘0’ avec l’une et un ‘1’ avec l’autre. C’est le 2FSK (Frequency Shift Keying, codage par changement de fréquence).
Avec quatre fréquences, 4FSK , chaque fréquence peut représenter 2 bits en même temps : f1= ‘00’, f2=’01’, f3=’10’, f4 =’11’. On gagne en compacité et vitesse de transmission puisqu’une tonalité émise fournie 2 bits d’information.
Quand on utilise plus de fréquences, de «tonalités» différentes, on augmente la bande passante utilisée, on augmente la densité de données dans le signal, mais on devient aussi plus sensible au bruit, puisqu’on expose plus de surface en quelque sorte. Il y a un compromis à trouver. Pour WSPR, c’est 4FSK.
L’intérêt d’un signal numérique est qu’il peut être traité par un ordinateur pour faire des filtres, de la détection et même correction d’erreur par calcul (DSP : Digital Signal Processing – traitement numérique du signal). Le filtrage, la détection d’erreurs sont donc plus faciles et plus précis quand on manipule des nombres plutôt qu’un signal audio.
Parce ce que les transmissions numériques sont plus robustes par rapport au bruit, le message transmis est plus facilement discernable et décodable parmi le bruit qu’un signal audio entendu par un opérateur. Elles ont un meilleur SNR.
Le rapport Signal/Bruit ou SNR Signal to Noise Ratio en anglais. Qu’est ce que ça veut dire ? Le rapport Signal/Bruit indique le rapport de puissance entre le signal transmis et le bruit radio ambiant. Il se mesure en décibel (dB). Si le rapport est supérieur à 1, c’est que le signal est « au dessus » du bruit.
La formule est SNR = 10 x Log10 (Psignal/Pbruit)
Un SNR de +3dB indique que la puissance du signal est deux fois supérieure à celle du bruit. A +10dB, le signal est dix fois plus puissant que le bruit.
Avec WSPR, il est possible de décoder des messages à -28dB, j’ai même lu -31dB. C’est énorme !Ça signifie que la puissance du signal reçu peut être de près d’un millier de fois plus faible que le bruit ambiant ! C’est comme pouvoir écouter une conversation à plusieurs dizaines de mètres entre deux personnes qui chuchotent dans un hall de gare. D’où le nom « whisper ».
La détection dans le bruit consiste à savoir qu’un signal existe et être capable, malgré le bruit, d’en extraire les données utiles quand on sait ce qu’on veut entendre.
Pour donner des ordres de grandeurs :
- Un signal en phonie, en SSB, doit être à +6dB (4 fois plus fort que le bruit) pour être compréhensible.
- Un signal en morse est détectable à 0dB : le signal est au même niveau que le bruit, mais la tonalité, les «dits» et les «dahs» est simplement bien reconnaissable. Des oreilles expertes peuvent descendre à -10dB, soit un signal 10 fois moins puissant que le bruit.
Autant dire qu’à – 28dB il est peut probable de pouvoir entendre un signal WSPR. On laisse les ordinateurs faire le job ! Ils le détectent parce qu’ils sont patients et repèrent des cohérences que nous ne sommes pas capables de détecter dans le bruit.
A l’oreille, si le bruit n’est pas trop important, on entend bien quelque chose, des sifflements, un peu moins lugubres que le FT8, mais pas grand-chose d’autre !

Écran du Xiegu G90 calé sur la fréquence WSPR pour le 40m
Important : Pas besoin de puissance pour WSPR. Le mode est suffisamment efficace et robuste pour qu’on se contente de peu. 5W c’est déjà QRO, presque trop même ! Les puissances recommandées sont de quelques watts, ou mieux, quelques centaines de milliwatts ! Au delà, évidemment que ça va fonctionner, mais il ne faut pas oublier que tout le monde utilise les mêmes fréquences… Pour reprendre l’image du hall de gare, ça sera moins facile d’entendre les chuchotements lointains si on a un type qui braille juste à coté dans un mégaphone.
Contenu du message
Le message transmis par WSPR respecte un format bien défini. Pas question ici de parler de la météo, du dernier bidule acheté ou du prochain barbecue du Club Radio. Non, là on est au minimum syndical pour un pseudo QSO : qui, où et quelle puissance d’émission. La transmission est ciblée sur la mesure de la propagation en monopolisant le minimum de la très précieuse bande passante. L’avantage est qu’en réception, le programme sait ce qu’il doit recevoir. Le décodage est plus facile, il faut « remplir les cases » avec des informations formatées :
- l’indicatif de la station qui émet
- le locator :localisation de la station émettrice, selon la grille Maidenhead locator.
- la puissance d’émission en dBm (puissance d’émission par rapport à 1mW)
Par exemple : si moi (F4JAM) j’émets depuis la région de Chalon sur Saône (position JN26) à une puissance de 1W (30dBm), le message sera : F4JAM JN26 30
Le logiciel va traduire ce message en binaire, réarranger les bits pour les rendre moins sensibles au perturbations, en maximisant par exemple les alternances de ‘0’ et de ‘1’ et rajouter des données qui permettront de détecter des erreurs et de le corriger.
La ‘charge utile’, indicatif+locator+puissance, fait 50 bits. Le message transmis avec le système de correction d’erreur fait 162 bits.
Ce message traduit en binaire par l’ordinateur est envoyé en mode F1D : modulation de fréquence (F), sans modulation de porteuse (1), signal numérique (D).
Quatre fréquences séparées de 1.4648 Hz sont utilisées (4FSK) pour coder le signal.
La bande passante est de 6Hz et la durée de transmission d’un message est de 110,6 s soit 1 minute et 50 secondes. C’est lent et frugal mais c’est pour ça que ça porte loin… très très loin !
Du coup le logiciel va fonctionner par tranches de 2 minutes. C’est long. En général on le laissera tourner quand on n’utilise pas la radio !
Le logiciel WJST-X écoute et affiche ce qu’il reçoit toutes les 2 minutes et par défaut il déclenche l’émission d’un signal balise toutes les dix minutes. Pas besoin de plus. L’objectif n’est pas d’établir des contacts mais uniquement d’évaluer la propagation. Pas besoin de saturer la bande.
Le temps
En parlant de temps. Comme WSPR à vocation à être sensible et précis, il impose le même timing à tout le monde. Le logiciel lance des transmissions toutes les minutes paires du temps UTC. Il va donc transmettre par exemple à 8h:00:00 puis à 8:02:00 etc. Il laisse en réalité un petit délai de 1 à 2 seconde avant de transmettre pour permettre au logiciel de faire les calculs, tenir compte des erreurs de temps, etc…
Les stations à l’écoute savent donc à quel moment précis elles doivent essayer de capter les signaux faibles, les weak signals : toutes les minutes paires.
Ce timing implique que les ordinateurs soient bien tous calés à l’heure universelle UTC , sinon ils seront à contre-temps ! Il existe de nombreux petits logiciels gratuits, Dimension 4 sur Windows par exemple, qui permettent d’ajuster régulièrement l’heure de l’ordinateur à partir de serveurs de référence (Serveurs NTP, Network Time Protocol). On peut également utiliser une référence de temps par GPS.
En pratique
En pratique, ça donne ça :
En ce jour du 23 août 2025, j’ai laissé le logiciel WSJT-X tourner toute la nuit. Mon installation radio est très modeste : un Xiegu G90 calé ici sur le 20m (14MHz), puissance d’émission 5W. Coté antenne : un long fil dans le jardin. C’est bricolo, mais j’aime ça.
je récupère le résultat sur https://www.wsprnet.org. Il faut créer un compte mais c’est gratuit.

Fenêtre de WSJT-X
Résultat : quasiment toute la planète m’a entendu ! Présenté comme ça j’ai l’impression d’être le centre du monde :

Carte du wsprnet.org – rapport de mes émissions
Je découvre qu’il y a des stations qui m’ont «entendues» en Antarctique, en Arctique, des bateaux.
WSPR et les ballons stratosphériques :
Ci dessous, on remarque sur https://www.wsprnet.org/drupal/wsprnet/map une station polonaise SP6MPL/5 qui n’est pas vraiment dans son pays d’origine …..

Les ballons stratosphériques peuvent également transmettre leurs coordonnées au format et sur les fréquences WSPR.

Les radioamateurs du monde entier reçoivent les signaux, les décodent, puis les transmettent à la base de données centrale dans laquelle vient se sourcer amateur.sondehub.org pour cartographier la position des ballons.

Dans l’exemple ci-dessus, le ballon SP6MPL/5 qui survole la Bosnie-Herzégovine émet sur la fréquence WSPR 28.1261 Mhz, il a été reçu dans la 1/2 heure précédente par 4 stations.
Ça sert à quoi WSPR ? Ça sert à rien. Ça sert à faire se qu’on veut, tester la propagation, se faire plaisir, constater la merveille que sont les transmissions radio !